samedi 5 mai 2012

Dédoublement linguistique


Il y a quelques mois de cela, une collègue m’a invitée à assister au concert d’un artiste montréalais de passage à Londres. Dans le train, en route vers la station de métro, elle me racontait l’expérience qu’elle a vécue en tant qu’assistante de langue anglaise en France alors qu’elle avait mon âge.  «That was many years ago» m'a-t-elle dit en souriant.

Elle me disait avoir adoré son expérience, mais que son seul regret avait été de ne pas s’être assez imprégnée de la langue française. Elle passait tout son temps en compagnie d’une assistante de langue allemande qui parlait parfaitement anglais, alors par défaut les deux conversaient constamment dans cette langue.

Après m’avoir exprimé ce regret, elle s’arrêta un instant pour réfléchir et me dit : «But quite frankly, I didn't really enjoy speaking in French. Just because I felt I was not myself when I was speaking French.»

Elle, à l’époque, jeune assistante anglaise de vingt et un ans, ne se sentait pas en confiance lorsqu’elle devait s’exprimer en français. Sur le moment, lorsqu’elle m’a raconté ce souvenir, j’ai pensé qu’il est tout à fait normal de ne pas être pleinement confiant lorsqu’on parle une langue qui n’est pas la nôtre.

Ce n’est que récemment, lorsqu’un de mes élèves m’a demandé si je préférais parler français ou anglais que je me suis mise à réfléchir à ce que ma collègue m’avait dit. Ce qu’elle ressentait à l’époque, allait au-delà de la facilité à s’exprimer dans une autre langue et de la confiance que l'on a en nous-même lorsqu'on le fait. En fait, cela relevait d’un élément purement existentiel, à savoir le fondement de notre être.

Voyez-vous, je me suis arrêtée sur cette question (il y a tellement de pluie ici qu’il faut être créatif en matière de passe-temps) et j’y ai vu une toute nouvelle interprétation. Est-ce que notre langue définit ce que nous sommes? Ou plutôt, est-ce que le fait de s’exprimer dans une autre langue que la nôtre nous oblige à développer un tout nouvel aspect de notre personnalité, de notre être?

Si j’essaie de me souvenir de la personne que j’étais lors de mon arrivée ici en octobre, j’en vois une toute différente de celle d’aujourd’hui. C’est vrai qu’une expérience comme celle-ci ne peut faire autrement que nous changer, mais l’une des principales raisons derrière ce changement est sans aucun doute l’adaptation linguistique.

C’est vrai, en parlant soudainement plus anglais que français avec les gens qui m’entourent, j’ai dû développer un tout nouveau instinct de survie. Ayant une personnalité sociable, j’ai vite fait d’apprendre à entretenir des conversations en anglais. Si je ne l’avais pas fait, l’un de mes principaux traits de personnalité et de caractère aurait été effacé et je me serais dès lors vue malheureuse.

Voilà donc un accomplissement dont je suis fière, celui de pouvoir m’exprimer aisément en anglais. Malgré cela, je ressens et comprends parfaitement ce que ma collègue tentait de m’exprimer.

Mon vocabulaire limité, mes erreurs de grammaires et ma mauvaise prononciation de certains mots sont tous des éléments auxquels je dois penser en permanence avant de parler avec quelqu’un en anglais. Mes phrases ne peuvent pas être aussi complexes que celles que je formule en français. Aussi, l’intonation que j’utilise en anglais est beaucoup moins théâtrale ou expressive que celle qui m’est propre dans ma langue maternelle. Souvent, lorsque je raconte une anecdote à une amie anglaise, je me vois constamment interrompue par mes propres erreurs que je tente de corriger pendant mon discours. Je dois aussi souvent m’arrêter pour penser aux mots que je veux utiliser, à des synonymes de ceux-ci et à des explications de ceux que je ne connais pas afin que mon interlocuteur puisse me comprendre.

Après toutes ces constatations, je me compare maintenant à ma collègue. Oui, moi aussi, en parlant anglais, je ne suis pas la même que lorsque je m’exprime en français. Mais contrairement à ma collègue, je ne vois pas cette réalité d’une manière négative. Je ne crois pas que m’exprimer en anglais m’empêche d’être moi-même, mais m’oblige plutôt à développer une nouvelle moi ou une nouvelle partie de mon être.

Je ne sais pas ce que mon étudiant de dix-sept ans dirait si je lui révélais que parler anglais entraîne un dédoublement de personnalité chez son assistante de langue étrangère. Peut-être voudrait-il cesser d’apprendre le français ou au contraire, peut-être serait-il curieux de voir où son apprentissage de cette langue le mènerait. 

vendredi 4 mai 2012

Petite frustration passagère

Plus d'un mois avec mes élèves. Ils, tout comme moi, commencent à en prendre connaissance. Ils ont tous la même réaction: «Oh no, Miss! Why can't you stay another year?»

Pourquoi?
Et bien parce que premièrement, le Royaume-Uni ne veut pas de moi à l'intérieur de ses frontières pour une deuxième année. Ça, c'est au-delà de ma compréhension!
À quoi est-ce que ça me sert d'être sous la protection du Commonwealth, d'avoir le portrait de la Reine imprimé sur ma monnaie ainsi qu'abriter l'un de ses représentants dans mon pays si au final elle ne veut pas de moi dans le sien?

Absurde n'est-ce pas? Ai-je besoin de vous exprimer la montée d'émotions nationalistes québécoises en moi à l'instant?

Deuxièmement, l'autre raison qui m'oblige à retourner à Montréal est mon désir d'être libre et de faire des choix concernant mon avenir. Pour cela, je devrai d'abord terminer mon baccalauréat en enseignement du français langue seconde à Montréal. Après ces deux années d'études qu'il me reste à compléter, «Sky will be the limit».